
Syndrome du mouvement perdu, yips, twisties : comprendre les blocages moteurs chez les sportifs et les traiter avec l’EMDR
L’an dernier, en tant que membre du jury pour l’article de Marcant et al. (2024), j’ai été particulièrement touchée par leur analyse fine des blocages moteurs d’origine traumatique chez les athlètes. Ce travail m’a inspirée pour écrire cet article, en y apportant une perspective clinique issue de ma propre expérience en thérapie EMDR.
Syndrome du mouvement perdu, yips, twisties : comprendre les blocages moteurs chez les sportifs et les traiter avec l’EMDR
Dans le monde du sport de haut niveau, certains blocages moteurs soudains intriguent autant qu’ils déstabilisent : une gymnaste perd ses repères en plein vol (twisties), un archer est incapable de décocher (syndrome de la page blanche), un golfeur ne peut plus effectuer un putt simple (yips). Ces pertes d’accès au geste automatisé sont parfois attribuées à une simple anxiété de performance. Mais la réalité est souvent plus complexe.
Des travaux récents, dont l’étude de Marcant et al. (2024), viennent étayer une hypothèse centrale : ces blocages pourraient relever, dans certains cas, de processus dissociatifs liés à un vécu traumatique, mobilisant des ressources corporelles et émotionnelles inconscientes.
Qu’est-ce que la dissociation traumatique ?
La dissociation traumatique est une réponse neurophysiologique à une situation perçue comme insupportable ou menaçante, souvent vécue de manière passive et impuissante. Lorsqu’il n’est pas possible de fuir ou de lutter, le corps active une stratégie de survie qui implique une forme de « déconnexion » : on se coupe partiellement de ses sensations, de ses émotions, ou de son mouvement.
Chez les sportifs, cette dissociation peut se traduire par :
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une perte transitoire de contrôle moteur (« je veux faire le mouvement, mais mon corps ne suit pas »),
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un blanc mnésique ou cognitif (« je ne sais plus ce qui m’est arrivé »),
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une altération de la conscience corporelle (« je ne sens plus mes appuis »),
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une distorsion de la perception du temps ou du danger (« tout ralentit, je flotte »).
Ce mécanisme est bien documenté dans les travaux de van der Hart, Nijenhuis et Steele (2006) sur la dissociation structurelle, et confirmé par des approches neurobiologiques contemporaines (van der Kolk, 2014).
Anxiété de performance ou dissociation ? Deux logiques à ne pas confondre
Tous les blocages ne relèvent pas d’un traumatisme. Il est essentiel de distinguer deux types de blocages moteurs :
Anxiété de performance | Dissociation traumatique |
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Liée à la peur de l’échec ou au surinvestissement de l’enjeu | Liée à un événement menaçant passé (blessure, chute, humiliation, rupture de lien) |
Surcharge cognitive (trop de contrôle conscient) | Coupure défensive (perte d’accès sensorimoteur) |
Gêne anxieuse, agitation, tension musculaire | Vide, sidération, coupure de sensations |
Amélioration par techniques mentales, relaxation, coaching | Nécessité de retraitement émotionnel (ex : EMDR) |
Twisties, yips, syndrome du mouvement perdu (lost move syndrom) et autres blocages : des symptômes compatibles
Les twisties, décrits par Simone Biles, relèvent d’une perte brutale du repérage spatial en pleine figure aérienne. Les yips, chez les golfeurs ou tennismen, empêchent l’exécution d’un geste simple, sans blessure ni déficit neurologique. Dans d’autres disciplines, on parle de lost move syndrome ou de « freeze » moteur.
Dans la littérature, ces phénomènes sont associés :
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à une interruption de la mémoire procédurale (Yu et al., 2022),
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à une désintégration sensorimotrice temporaire (Bennett et al., 2017),
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à des mécanismes défensifs inconscients de type freezing ou dissociation partielle (Spiegel et al., 2013).
Marcant et al. (2024) ajoutent une hypothèse essentielle : ces pertes d’accès au geste ne surviennent pas par hasard, mais dans des contextes à forte charge émotionnelle ou symbolique (retour après blessure, échec marquant, sentiment d’humiliation, rupture avec l’entraîneur, etc.). Le geste bloqué est souvent celui qui symbolise la reconquête de la maîtrise ou la réinscription dans le lien.
L’apport de l’EMDR : retraiter la charge émotionnelle du geste
L’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) est une méthode de thérapie basée sur les mouvements oculaires ou stimulations bilatérales alternées, utilisée pour retraiter les souvenirs non digérés. Dans le cas des blocages moteurs, elle permet de :
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repérer les déclencheurs implicites liés au geste,
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traiter les émotions et sensations figées dans le corps,
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restaurer l’intégration sensorimotrice.
Des études de cas (Curdt et al., 2019 ; Graham, 2004) montrent que des sportifs ayant développé des yips, twisties ou blocages post-blessure ont pu, après EMDR, retrouver la fluidité du geste, sans anxiété ni appréhension.
Marcant et al. (2024) soulignent que le travail corporel et sensoriel est essentiel dans ces accompagnements : le symptôme n’est pas à « contrôler », mais à écouter comme le langage d’une expérience émotionnelle non verbalisée.
Pour ma part, j’ai pu travailler sur ce type de blocages avec différents sportifs de très haut niveau : rugby, basket, aviron, BMX, …
Une approche intégrative du symptôme
Le blocage moteur chez les sportifs n’est ni une faiblesse mentale, ni une pathologie isolée. C’est souvent le signe d’un conflit entre l’élan vital et une mémoire traumatique non digérée, entre le désir de performer et une peur archaïque de revivre une situation douloureuse.
L’approche proposée par Marcant et al. (2024) invite à sortir d’une logique de maîtrise ou de performance pour entrer dans une posture d’écoute clinique. Le symptôme, dans cette perspective, est une tentative de préservation de l’intégrité psychique du sujet.
📖 Références
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Marcant, P., Bardot, C., Perrin, S., & Chauvin, J. (2024). Le blocage moteur chez le sportif de haut niveau : une approche clinique des troubles dissociatifs d’origine traumatique. Pratiques Psychologiques. https://doi.org/10.1016/j.prps.2024.101957
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Yu, G., Chang, K.-F., & Shih, I.-T. (2022). An exploration of the antecedents and mechanisms causing athletes’ stress and twisties symptom. Heliyon, 8(10), e11040.
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Bennett, J. et al. (2017). The yips in sport: A review. Sport and Exercise Psychology Review.
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Curdt, A., Eggleston, B. (2019). Efficacy of EMDR in athletic trauma cases. Spotlight on Clinical Psychology Research.
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Van der Hart, O., Nijenhuis, E. R. S., & Steele, K. (2006). The Haunted Self: Structural Dissociation and the Treatment of Chronic Traumatization.
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Van der Kolk, B. (2014). The Body Keeps the Score. Viking.
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Spiegel, D., et al. (2013). Dissociative disorders in DSM-5. Depress Anxiety.